Une nouvelle absence, première partie

Publié le par Sir François d'Arz

Voici le récit de nos dernières aventures ! Vu la longueur, je me permet de le publier en trois parties, donc il faudra être un peu patient. Sur ce, je vous laisse à votre lecture :

 

 

      Le succès des recherches du docteur Skivirerez sur l'Hilarium 205 nous avait procuré une période de calme. Quatre mois plus tard, c'est avec une grande joie que nous assistâmes au décollage du Lugh, un aéronef plus lourd que l'air qui était en construction depuis plus de deux ans, et que les dix milles francs du contrat militaire avaient permis d'achever sans trop de dettes. L'histoire de notre monde a permis un tel développement des dirigeables et autres aérostats plus léger que l'air que les recherches sur l'aviation en avait fortement souffertes. Si quelques tentatives concluantes avaient vues le jour, ces avions et autres aéronefs n'étaient que fort rares. Le vaisseau du docteur était donc (et est toujours !) une véritable révolution. Il s'élança sous nos yeux dans les nues, pour son premier long vol. Il ferait escale à Fort-Lamy, dans notre bonne colonie du Tchad, puis à Tananarive, sur notre île de Madagascar. De là, il devait rejoindre Hanoï en une seule fois, effectuant le vol le plus long de l'histoire humaine... pour un plus lourd que l'air, bien-sûr. En rentrant à l'atelier, mon collègue et moi-même regrettions un peu de ne pas pouvoir prendre part à l'aventure. Hélas, le docteur n'était pas fondamentalement un homme de terrain (même s'il a su nous prouver à maintes reprises depuis son adaptabilité formidable).

      Le lendemain, vers 8h30, nous reçûmes un télégramme* de Fort-Lamy annonçant l'arrivée de l'incroyable machine volante et son départ imminent pour Tananarive, où il devait arriver quelques quatorze heures plus tard. Au bout du décompte toutefois, nous ne reçûmes rien. Cela ne nous inquiéta pas outre mesure : un petit retard n'était pas surprenant pour un premier vol long courrier. Toutefois, la seizième heure écoulée, nous n'avions toujours pas de nouvelles. À la dix-huitième, nous envoyâmes un télégramme à Madagascar afin d'être informés de la situation. La réponse ne se fit pas attendre :

 

Aucune nouvelle du Lugh depuis dix-sept heure cette après-midi -STOP- Aucune réponse à nos messages -STOP- Situation anormale – STOP.

 

      Mon collègue et moi-même nous mîmes donc au travail. Le contact avait été perdu au dessus de l'Ouganda. Las ! Depuis plus d'une quinzaine d'année, l'emprise britannique sur le pays s'était relâchée et nul ne savait ce qui s'y passait. Nous tentâmes de garder notre optimisme, mais le docteur restait prostré dans son laboratoire. Cette situation aurait pu durer longtemps si le lendemain l'Association Francophone du Plus Léger que l'Air (AFPLA) n'avait pas publié un article moqueur qui affirmait la piètre qualité de ses travaux. Après l'avoir lu, notre maître s'enferma durant une heure entière. Lorsqu'il sortit enfin de son silence, ce fut pour crier : « Messieurs ! En route pour l'Afrique ! »

      Une fois de plus, nous emballâmes précipitamment nos affaire et prîmes la route du Diridrômes nantais. Ironique direz-vous ? Prendre un dirigeable pour défendre l'honneur des plus lourds que l'air. Hélas nous n'avions pas vraiment d'autre choix. Notre destination était la Côte française des Somalis. De là nous espérions traverser le Kenya britannique et rejoindre la zone présumée de dernier contact en Ouganda. Varz et moi-même étions formés au combat, et nous espérions trouver sur place des mercenaires pour nous guider. Une chose était sûre : nous ne partions pas pour la science, mais pour l'honneur.

 

      Le vol dura quarante longues heures, escales inclues. En arrivant à Djibouti, mon ami et moi-même étions extrêmement fatigués et surpris de voir qu'en dépit de son âge, le docteur était aussi frais qu'après une bonne nuit de sommeil. Nous fûmes encore plus surpris lorsqu'il nous emmena dans ce qui devait être l'auberge la plus sale, la plus mal famée et la plus sombre que nous n'ayons jamais vu. Là, il s'approcha du tenancier et lui demanda « Monsieur Fernand », sans s'inquiéter de la clientèle qui nous fixait comme des vautours regardant un mourant. L'homme indiqua une porte vers le fond, et nous nous y rendîmes. Là, il y avait un billard et un homme au moins aussi âgé que le docteur, mais avec une bonne tête de plus et une musculature des plus imposante. Je ne suis pas sûr qu'il soit bien prudent de rendre compte de l'échange, d'autant plus que Varz et moi-même étions si étonnés que nous parvînmes difficilement à suivre la conversation. Toutefois je peux vous en conter les grandes lignes : l'homme devait apparemment un service au docteur, et celui-ci était venu réclamer son dû. Un service ? Le docteur était-il seulement venu en Afrique avant ? Qu'y-avait-il fait ? Voilà autant de mystères que nous n'avions malheureusement pas le temps d'élucider pour le moment. Moins de deux heures plus tard, nous avions une troupe de six mercenaires et deux VV-TT (Véhicule à Vapeur Tous-Terrain) pour nous emmener vers l'inconnu. Durant le voyage vers le Kenya, qui dura près de vingt-trois heures, nous tentâmes de questionner le professeur sur son passé, mais sans réels résultats. Ce fut heureusement sans encombres que nous arrivâmes à Nairobi, capitale du Kenya. Les hommes du 24thfoot regiment (South Wales Borderers) nous questionnèrent sur nos activités (il est vrai que notre équipé était pour le moins suspecte), mais mes contacts au sein de l'armée britannique nous permirent de ne pas être inquiété.

      Nos estimations nous donnaient la région de Kabarega comme point de dernier contact avec le Lugh. Malheureusement, partir à l'aventure sans autres informations était une fort mauvaise idée. Je tâchais donc d'en savoir plus auprès de mes amis Gallois. Ils me confièrent qu'une équipe de leur camarades du 4thBatallion, Prince of Wales' East African Steam Dragoon Regiment (ou 4th East African Steam Dragoons en abrégé) avait disparu dans cette même région environ un mois auparavant, et qu'aucune recherche n'avait encore été effectuée, faute de moyens. Après avoir consulté nos guides, nous décidâmes que nos recherches commenceraient là : à l'instar du docteur, nous ne croyions pas aux coïncidences.

 

      Nous partîmes au plus vite après nous être réapprovisionné en vivre et carburant. Un de mes contacts britannique nous conseilla de faire une halte à la garnison de Fort Edward, à Busumbu. C'était le dernier avant-poste britannique avant les terres ougandaises. Après cela, rien n'était sûr. Il fallait compter sept heures de bonne route jusqu'à Busumbu, et en l'absence de piste convenable après-cela, une bonne vingtaine d'heures jusqu'à la région de Kabarega. Ce n'était pas le moment de chômer. La route jusqu'au fort fut tranquille : lorsqu'il s'agit de faire régner l'ordre, nos amis britanniques sont plus compétents qu'on peut le penser. Nous fûmes bien accueillis par la garnison, qui avait été avertie de notre arrivée par télégramme. Là, on nous ravitailla en munitions et en armes, car si nos mercenaires étaient bien équipés, nous n'avions nous-même que peu de choses. On nous conseilla la prudence, car les tribus indigènes d'Ouganda n'aimaient pas vraiment les étrangers. Lorsque Fort Edward disparu derrière nous, nous savions que nous étions livrés à nous mêmes, en territoire hostile.

      La route était de fort mauvaise qualité, et cela nous ralentit plus d'une fois. Nous longeâmes l'immense lac Kyoga vers l'ouest pendant un long moment. La faune et la flore locale nous fascinèrent à tel point que nous nous permîmes quelques courtes haltes le long de cette sublime étendue d'eau. Nous eûmes l'occasion d'apercevoir de loin quelques autochtones, qui nous remarquèrent sans doute également, mais aucun contact ne fut établi, autant par prudence que par volonté de ne pas perdre trop de temps en mondanités exotiques. Peu à peu, le lac se faisait étroit, et ce à tel point qu'il se mua en un fleuve qui montait vers le nord. Il nous suffisait de le suivre pour atteindre la Kabarega. Il nous restait environ sept heure de route pour atteindre l'orée de la forêt de Karuma, au cœur de cette région, si nous en croyions les cartes. Or il s'avère que les cartes avaient quinze ans, et qu'une surprise des plus étonnante nous attendait. En effet, à peine avions nous roulés deux heures que nous fûmes arrêtés par un mur de végétation obscur et impénétrable. Pour la traverser, il fallait abandonner les véhicules. Nous fîmes une halte pour prendre une décision. Ce fut en scrutant la bordure de l'immensité verte que nous nous décidâmes : là, au milieu des arbres, les carcasses de plusieurs véhicules britanniques et les corps de trois soldats du 4th East African Steam Dragoonsgisaient, abandonnés depuis plusieurs semaines. Les hommes avaient été tués à l'aide de lances et de flèches. Quant aux véhicules, la plupart avaient sûrement été arrêtés et abordés par des guerriers à pied. L'un d'entre eux avait été en grande partie détruit par une arme que nous ne connaissions pas, mais qui semblait redoutable. Tous semblaient avoir été partiellement démontés, pour une raison qui nous était encore inconnue. Quoiqu'il en soit, une évidence se présenta à nous : si nous voulions connaître le destin du Lugh, nous allions devoir nous enfoncer au cœur du géant végétal et découvrir ce qui était arrivé aux soldats.

Nous abandonnâmes donc les véhicules et pénétrâmes d'un pas décidé dans la sombre jungle...

 

 

*Le terme désigne dans notre monde et à notre époque un système similaire à celui que vous connaissez, mais fonctionnant par ondes (bien plus moderne !). Le téléphone n'est pas encore assez performant pour assurer de bonnes (et économiques) communications sur le plan international. Nous avons gardé l'appellation « télégraphe » et « télégramme » par habitude, comme vous utilisez l'ancien terme de voiture pour vos automobiles.

Publié dans Aventures

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